Innovations axées sur les données dans le domaine de la sécurité sociale: bonnes pratiques de la région Asie et Pacifique

Innovations axées sur les données dans le domaine de la sécurité sociale: bonnes pratiques de la région Asie et Pacifique

L’application des technologies de l’information et de la communication (TIC) permet la mise en place de systèmes de sécurité sociale complets et efficaces dans le monde entier. Cet article porte sur les innovations axées sur les données dans la région Asie et Pacifique, en se basant sur les bonnes pratiques des institutions membres de l’Association internationale de la sécurité sociale (AISS) de la région.

L’application des technologies de l’information et de la communication (TIC) permet la mise en place de systèmes de sécurité sociale complets et efficaces dans le monde entier. Cet article porte sur les innovations axées sur les données dans la région Asie et Pacifique, en se basant sur les bonnes pratiques des institutions membres de l’Association internationale de la sécurité sociale (AISS) de la région.

Les innovations en matière de TIC permettent d’élargir rapidement la portée et l’impact des politiques relatives à la sécurité sociale, tout en garantissant une fourniture de services simplifiée et de qualité. Dans ce contexte, les données tendent à jouer un rôle de plus en plus important dans l’administration de la sécurité sociale (AISS, 2019a et 2016; Ruggia-Frick, 2021). Les institutions de sécurité sociale examinent toujours plus de nouvelles manières de gérer les grandes quantités de données qu’elles manipulent, pour rationaliser les processus, fournir des services personnalisés, réduire les fraudes et les erreurs et élaborer des décisions politiques fondées sur les faits.

Afin de soutenir les institutions membres dans la mise en œuvre efficace et sécurisée de l’analyse des données, l’AISS a développé des recommandations spécifiques, dans le cadre plus large des Lignes directrices de l’AISS en matière de technologies de l’information et de la communication (AISS, 2019b). Les lignes directrices sur l’analyse des données (54 à 59 des Lignes directrices sur les TIC) s’articulent autour des principales catégories suivantes:

  • l’analytique descriptive, qui concerne l’analyse des données historiques afin d’éclairer les futures décisions;
  • l’analytique de diagnostic, qui examine les processus et les causes d’un événement;
  • l’analytique prédictive, qui tente de prédire les futurs résultats en utilisant des techniques de prévision;
  • l’analytique prescriptive, qui aide à prendre des décisions basées sur l’analyse de plusieurs alternatives;
  • les analyses du big data, qui appliquent les techniques susmentionnées à de très grandes bases de données;
  • l’apprentissage automatique avec le big data, qui va au-delà des techniques d’analyse traditionnelles et examine les nuances de l’application des techniques de l’apprentissage automatique aux données massives.

Le type d’analytique que les institutions de sécurité sociale sont capables d’appliquer dépend de leur maturité en matière de données. Bien que de nombreux modèles de maturité analytique aient émergé ces dix dernières années, un modèle de maturité récent pour un gouvernement axé sur les données et qui a été présenté lors de la Conférence de l’AISS sur les TIC 2018 pourrait aider les institutions de sécurité sociale à identifier leurs capacités actuelles et à définir leur future feuille de route.

Tableau 1. Modèle de maturité pour une transformation axée sur les données
  Ad Hoc Préparé Démontré Prouvé Intelligent
Stratégie La stratégie de l’agence ne prévoit pas la mise en place de politiques et de pratiques axées sur les données Stratégie pour une transformation numérique assortie d’une vision soutenant les politiques et pratiques axées sur les données La stratégie pour les politiques et pratiques axées sur des données est documentée et adoptée La stratégie de l’agence est formulée sur la base de connaissances basées sur des données La stratégie gouvernementale est formulée sur la base de connaissances basées sur des données
Données Les données sont indisponibles ou inadéquates pour soutenir une transformation axée sur les données Les sources de données ont été identifiées et les données sont en cours de préparation Des données de qualité sont disponibles dans certains domaines Les données sont gérées en tant qu’actif stratégique au sein de l’organisation Les données sont sans cesse enrichies grâce à des processus axés sur les données
Technologie Les systèmes cloisonnés empêchent l’analyse longitudinale L’analyse longitudinale est soutenue par l’analytique traditionnelle Des solutions ponctuelles soutiennent l’analytique prédictive dans certains domaines La plateforme d’organisation soutient l’analytique prédictive dans tous les domaines La plateforme d’organisation prévoit une amélioration autonome des modèles prédictifs
Culture Résistance culturelle au changement La direction soutient les politiques et pratiques axées sur les données Certaines équipes ont adopté des pratiques axées sur les données L’ensemble de l’organisation a adopté des pratiques axées sur les données La culture axée sur les données s’étend aux décideurs politiques
Influence Les décisions sont basées sur des intuitions bien intentionnées Les décisions sont basées sur des données peu fiables et incomplètes Plusieurs exemples de prise de décisions basée sur des données probantes Les pratiques organisationnelles sont réformées en fonction des connaissances basées sur les données La politique gouvernementale est influencée par les connaissances basées sur les données
Impact Les politiques gouvernementales et les pratiques opérationnelles ne changent pas Les réformes de politiques et de pratiques sont motivées par des connaissances basées sur des données Plusieurs exemples de réponses dynamiques à des événements majeurs et à des tendances émergentes Les connaissances basées sur des données informent régulièrement les réponses dynamiques Les politiques sont sans cesse revues et améliorées afin d’optimiser les résultats
Source: van Leent (2018)

Expériences en matière d’application de l’analyse des données dans la région Asie et Pacifique

Les institutions de sécurité sociale en Asie et Pacifique ont exploité les données dans toute une série de domaines, tels que l’amélioration de la fourniture des services grâce à l’automatisation, les soins de santé, la détection et la prévention des erreurs, de l’évasion et de la fraude, ainsi que l’élaboration proactive des programmes et des politiques sociales, entre autres. Des exemples de bonnes pratiques mises en œuvre dans la région ont été soumis pour le Prix AISS des bonnes pratiques et présentés lors du Forum virtuel de la sécurité sociale pour l’Asie et le Pacifique et au cours de webinaires et autres activités de l’AISS. Cet article examine les expériences des institutions membres dans de nouveaux domaines susceptibles d’avoir un impact.

Améliorer la fourniture des services grâce à l’automatisation axée sur les données

Services Australie

Services Australie, l’agence responsable de la fourniture de services sociaux et des prestations sociales sous condition de ressources en Australie, a utilisé l’analyse de données pour évaluer les demandes de manière fiable grâce à l’utilisation du traitement automatisé et continu (Straight‑Through Processing – STP). Le STP part du principe qu’une requête peut être gérée sans aucune intervention humaine. Alors que la COVID-19 a déstabilisé les modes de vie, l’agence a élargi ses capacités existantes en matière de prise de décisions automatisées afin d’exécuter les paiements à une quantité sans précédent de demandeurs au titre du programme JobSeeker (chercheurs d’emploi) (Services Australie, 2020). L’objectif consistait à effectuer aussi rapidement que possible des versements destinés aux personnes dans le besoin et à garantir au gouvernement que ces versements automatisés, bien que socialement responsables et efficaces sur le plan administratif, respectaient quatre principes fondamentaux, à savoir la bonne personne prise en charge dans le cadre du bon programme, au bon taux, à partir de la bonne date.

Bien que Services Australie ait déjà appliqué le STP à d’autres catégories de prestations par le passé, la grande différence réside dans l’ampleur et la vitesse avec lesquelles il a été mis en œuvre dans le cas des demandes JobSeeker. Il était dès lors essentiel de prouver et de mesurer l’efficacité administrative de l’automatisation du processus d’approbation des demandes, tout en garantissant l’intégrité des versements. Même si l’agence a mis en place un cadre opérationnel solide pour orienter le développement des produits d’automatisation, le processus d’assurance axé sur les données qui a mené des vérifications sur un échantillon statistiquement valable de décisions de paiement automatisées s’est révélé capital pour garantir la fiabilité et l’exactitude sans intervention humaine. L’agence a défini un indicateur de référence de >95 pour cent pour l’exactitude des paiements et a utilisé toute une série de méthodes statistiques, de registres automatisés et d’analyses axées sur les données afin d’évaluer ses résultats à l’aune de cet objectif. L’agence a atteint l’objectif d’exactitude de 99 pour cent, bien au-dessus de son indicateur de référence.

Fonds national de prévoyance de Fidji

Le Fonds national de prévoyance de Fidji (Fiji National Provident Fund – FNPF) a exploité des données pour améliorer l’efficacité de toute une série de processus à la suite de la pandémie de COVID-19. Il a déployé quatre phases pour fournir une protection du revenu afin d’aider ses membres à faire face aux impacts de la crise et a introduit, pour la première fois, l’automatisation de procédés robotisés (Robotic Process Automation – RPA) afin d’automatiser le processus d’enregistrement, d’approbation et de paiement. Le FNPF a pu tirer profit des données pour identifier les membres toujours touchés par la situation et leur permettre de s’enregistrer seuls à l’aide de la RPA (Fonds national de prévoyance de Fidji, 2020). Il a pu explorer des données pour en estimer l’exposition maximale et utiliser de manière préventive des stratégies axées sur les liquidités afin de gérer la situation de trésorerie. Les analyses de données ont permis au FNPF d’évaluer de façon proactive les refus et de modifier les décisions le cas échéant, même en l’absence de réclamation formelle de la part des membres.

Contrôler la fraude et les erreurs en matière de soins de santé

Institution de sécurité sociale pour le secteur de la santé de l’Indonésie

En 2020, les hôpitaux du pays ont enregistré près de 80 millions d’interventions. Le recours à un outil crédible et solide de détection des fraudes était donc essentiel pour l’Institution de sécurité sociale pour le secteur de la santé (BPJS Kesehatan) de l’Indonésie. Les méthodes rétroactives existantes de détection des fraudes étaient moins efficaces, étant donné que la récupération a posteriori des trop-perçus exigeait de déployer des efforts et des ressources considérables. Par ailleurs, les protocoles d’analyse manuels demandaient d’énormes capacités en matière de traitement des données, ce qui les rendait lourds et onéreux.

La BPJS Kesehatan a relevé ces défis grâce à un système d’apprentissage automatique pour la détection des fraudes. Le principal avantage de ce système est son caractère simultané: les demandes de remboursement des frais hospitaliers sont analysées avant le versement des paiements. D’autres avantages en ressortent. Tout d’abord, la détection des fraudes est plus rapide et plus efficace, puisque le système est capable d’identifier en un instant les schémas suspects. Deuxièmement, le temps de travail du personnel est libéré pour des tâches plus stratégiques relatives au contrôle de la fraude plutôt qu’aux analyses manuelles. Enfin, grâce à l’augmentation des données historiques, les modèles de prédiction s’améliorent en termes de degré de sophistication et d’exactitude, contrairement aux méthodes manuelles qui ne peuvent tout simplement pas traiter des données à une telle échelle (Institution de sécurité sociale pour le secteur de la santé Kesehatan 2019 et 2022).

Le modèle basé sur l’apprentissage automatique a été développé à partir de comportements transactionnels historiques, en utilisant des techniques d’apprentissage supervisé. L’algorithme est entraîné périodiquement par l’ajout de nouvelles données. Le modèle basé sur l’apprentissage automatique a été mis en œuvre de manière itérative, en commençant par 10 hôpitaux en 2019, puis en s’élargissant à 265 hôpitaux en 2020, pour atteindre 2 511 hôpitaux en 2021. En 2021, le moteur d’intelligence artificielle (IA) a examiné 5,8 millions de demandes transactionnelles de la part des hôpitaux et en a identifié 390 000 nécessitant une analyse supplémentaire. Cela a ainsi permis à plus de 700 agents de vérification de la BPJS Kesehatan de travailler plus efficacement.

Service national d’assurance maladie de la République de Corée

Le Service national d’assurance maladie (National Health Insurance Service – NHIS) de la République de Corée a réalisé des progrès considérables en matière d’utilisation des données massives pour détecter les erreurs et les fraudes parmi les demandes à l’assurance maladie. Le NHIS détient des données massives sur toute une série de variables liées à la situation socio‑économique, aux comportements en matière de santé, à l’utilisation des soins de santé et aux soins de longue durée. Il applique des algorithmes d’audit intelligents sur ces données afin de prédire quels sont les établissements de soins de santé qui sont le plus susceptibles de recevoir des demandes frauduleuses, ce qui aide les enquêteurs en amont (Service national d’assurance maladie, 2022).

Le modèle de détection des fraudes est hybride et combine les méthodes d’analyse traditionnelles à l’IA. Dans un premier temps, toutes les demandes reçues sont examinées via des algorithmes traditionnels basés sur des règles, afin de vérifier si les demandes correctes et inhabituelles sont dissociées. L’IA est ensuite utilisée pour identifier les corrélations entre les demandes inhabituelles, ce qui permet de déterminer la probabilité d’une inspection. Le modèle basé sur l’IA, dont le premier prototype a été mis en place en 2021, a été développé à partir d’une génération précédente de modèles traditionnels basés sur des règles. Le modèle s’appuie sur toute une série de techniques, qu’il s’agisse d’apprentissage profond, de forêts aléatoires, d’amplification de gradient, de régression logistique ou de machines à vecteurs de support. Ce modèle continue d’être amélioré. Entre 2014 et 2021, le système de détection des fraudes a identifié 567 820 cas de fraude, ce qui équivaut à 174 millions de dollars des États-Unis (USD) en valeur de demandes.

Fournir des services personnalisés

Office coréen de protection et d’indemnisation des travailleurs

L’Office coréen de protection et d’indemnisation des travailleurs (Korea Workers’ Compensation and Welfare Service – COMWEL) met en œuvre depuis 2011 des plans de réadaptation personnalisés pour les travailleurs blessés, contribuant ainsi à la réadaptation réussie des travailleurs. Alors que les services ont été étendus ces dernières années, et que des efforts ont été déployés pour concevoir des plans individuels grâce à des experts internes en réadaptation, le processus s’appuyait sur des informations limitées et sur l’expérience des responsables, entraînant ainsi des fluctuations au niveau de la qualité des services et des délais.

Afin d’améliorer le soutien qu’il fournit aux travailleurs blessés, le COMWEL a développé le système intelligent pour les recommandations en matière de réadaptation (Intelligent Rehabilitation Recommendation System – IRRS) (Office coréen de protection et d’indemnisation des travailleurs, 2020). L’IRRS est un système basé sur l’IA développé en 2020, qui vise à sélectionner les travailleurs blessés qui pourraient réintégrer la population active, et à concevoir des services de réadaptation personnalisés pour chacun d’entre eux, en s’appuyant sur des données scientifiques. L’IRRS calcule l’indice de vulnérabilité grâce à des données administratives concernant 98 millions de travailleurs accumulées depuis 2011, qui comprennent des informations sur l’indemnisation des travailleurs, l’assurance pour le chômage et la gestion des cas de réadaptation, et utilise une méthodologie de filtrage basé sur des règles et de raisonnement à partir de cas. En outre, il suggère un plan de réadaptation basé sur le modèle d’IA. Les travailleurs sélectionnés pour la réadaptation et le retour au travail sont suivis par les experts en réadaptation du COMWEL avant la finalisation des plans générés par l’IA. Le système a été mis en œuvre pour la première fois au début de l’année 2020. Bien que la fourniture de services de réadaptation se soit révélée difficile dans le contexte de la COVID-19 en 2020, 13 876 services ont été recommandés à 2 637 travailleurs blessés via l’IRRS, dont 9 172 services (66 pour cent) ont été conçus et fournis en tant que services personnalisés. L’IRRS a permis à COMWEL de garantir une qualité de services constante à l’échelle nationale, toute en assurant des interventions adéquates en temps opportun, afin d’améliorer le taux de retour au travail.

Résultats

Le tableau 2 synthétise les résultats que ces institutions ont pu obtenir grâce à l’utilisation de l’analyse de données.

Tableau 2. Vue d’ensemble des résultats
Organisation Résultats obtenus
Services Australie, Australie
  • A pu automatiser >31 000 demandes de prestations sociales sous condition de ressources, qui ont été analysées, évaluées et payées presque simultanément à la réception de la demande, sans aucune intervention de la part du personnel.
  • A permis au personnel de gagner du temps, qui a été redirigé vers l’aide aux membres vulnérables et les cas plus complexes.
FNPF, Fidji
  • Des économies de 1,8 million de dollars fidjiens (FJD) ont été réalisées grâce à l’automatisation et à l’efficience.
  • A traité et payé 80 pour cent des demandes dans le délai imparti de cinq jours ouvrables.
  • A permis au personnel de se concentrer sur la gestion des cas exceptionnels et la résolution des problèmes.
BPJS Kesehatan, Indonésie
  • 29 990 demandes frauduleuses potentielles ont été détectées, générant, au total, 41,9 millions d’USD d’économies.
NHIS, République de Corée
  • Entre 2014 et 2021, le système de détection des fraudes a identifié 567 820 cas de fraude, ce qui équivaut à une économie cumulée de 174,4 millions d’USD.
COMWEL, République de Corée
  • Le temps nécessaire entre la date d’octroi de l’indemnisation et la première consultation en réadaptation a été réduit de 4,8 jours en 2020 par rapport à 2019, permettant ainsi la mise en œuvre rapide des services de conseil et de réadaptation.

Facteurs essentiels de réussite

L’expérience des institutions membres révèle un certain nombre de facteurs essentiels pour pouvoir recourir avec succès à l’analyse des données dans le cadre de l’administration de la sécurité sociale.

Les innovations axées sur les données peuvent apporter de la valeur seulement si les processus sous-jacents sont conçus de manière efficace. Ainsi, automatiser un processus biaisé via l’analyse de données ne ferait que répliquer les erreurs existantes, bien que sous une forme différente. Dès lors, avant d’envisager de recourir à l’automatisation basée sur les données, il faut d’abord évaluer et optimiser les processus, comme l’a montré Services Australie dans le cas du STP.

La qualité des données et la gouvernance des données sont capitales pour libérer réellement le potentiel de l’analyse de données. La qualité et la gouvernance des données sont essentielles à la réussite de fonctions axées sur les données. Les Lignes directrices de l’AISS en matière de TIC, les lignes directrices 22 à 67 et, en particulier, 63 à 65, fournissent des orientations sur les questions de gouvernance des données de référence et de gestion de la qualité des données. Par exemple, l’utilisation des données par la BPJS Kesehatan en Indonésie est ancrée dans un cadre solide de gestion des données, conformément aux recommandations du DAMA-DMBOK2 (Dama International, 2017). Une gestion cohérente de la qualité tout au long du cycle de vie des données fait partie des principes fondamentaux de la BPJS Kesehatan. L’organisation entend également améliorer la qualité des données, par le biais de la standardisation des données, de la collecte de données électroniques et des vérifications de validation.

L’engagement des parties prenantes à tous les niveaux et dans tous les domaines opérationnels dès le début s’avère essentiel pour la gestion du changement et pour garantir une résolution des problèmes en temps réel. Ainsi, Services Australie s’est rendu compte qu’un engagement précoce des décideurs politiques, des experts juridiques, des entrepreneurs et des équipes d’assurance qualité était capital pour éviter une réforme tardive des solutions.

Comme tout autre investissement en matière de TIC, l’exploitation des données implique que les institutions de sécurité sociale attirent, forment, renforcent et maintiennent un personnel compétent. Compte tenu de l’évolution rapide des technologies d’analyse, attirer et retenir les bons professionnels peut s’avérer fastidieux. Par ailleurs, l’analyse des données implique que les personnes soient capables de travailler au sein d’équipes multidisciplinaires. Comme l’a appris le NHIS de la République de Corée, les professionnels sur le terrain et les spécialistes des TIC ont parfois du mal à se comprendre. L’importance d’ancrer les innovations axées sur les données au sein d’équipes multidisciplinaires a été confirmée par des données internationales à ce sujet (AISS, 2020; Ruggia-Frick, 2021). Dès lors, le renforcement continu des capacités internes est essentiel pour capitaliser sur l’analyse des données, en combinant les expertises technologique, méthodologique et sectorielle.

L’apprentissage et l’adaptation continus se révèlent d’une importance capitale en matière d’analyse des données massives. Compte tenu de l’augmentation de la quantité de données, les modèles d’apprentissage automatique doivent être entraînés et évalués continuellement pour garantir une performance solide. L’analyse des données massives n’est pas un exercice ponctuel et requiert d’allouer des ressources en permanence, comme l’ont appris la BPJS Kesehatan en Indonésie et le NHIS en République de Corée. Cela implique également de mettre en place un cadre de performance solide pour évaluer la qualité du modèle à l’aune d’un ensemble de critères cohérent. Par exemple, la BPJS Kesehatan a identifié quatre mesures pour évaluer périodiquement son modèle d’apprentissage automatique par rapport à des indicateurs de référence prédéfinis: i) l’exactitude des prédictions; ii) la précision des prédictions correctes d’observations positives (c’est-à-dire les cas de fraude éventuelle) par rapport au nombre total d’observations positives prédites; iii) le rappel, c’est-à-dire le taux d’observations positives prédites correctement par rapport au nombre total d’observations dans une classe donnée; et iv) le score F1, qui est la moyenne pondérée de la précision et du rappel. L’évaluation périodique peut être utile même dans le cas de l’analyse de données traditionnelles. Ainsi, Services Australie teste scrupuleusement la performance du STP en utilisant des mesures et des vérifications manuelles, afin d’éviter les pertes financières dues à un calcul des paiements erroné.

Lorsqu’elles utilisent les technologies de données massives pour la prise de décisions automatisée en matière d’évaluation des conditions d’ouverture des droits ou de détection des fraudes, les institutions de sécurité sociale doivent examiner scrupuleusement les implications juridiques et éthiques. Plus généralement, les limites de l’automatisation pour ce genre de services critiques et la capacité à expliquer les algorithmes utilisés doivent être évaluées correctement (AISS, 2020; Ruggia-Frick, 2021). En effet, comme l’a noté le Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté, de nombreux systèmes de prise de décisions automatisés ont été mis en œuvre sans aucune base légale solide et sans possibilité adéquate pour les demandeurs de faire appel aux décisions prises par ordinateur, ce qui porte atteinte à leurs droits en matière de transparence et d’équité (Rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté, 2019).

Enfin, toutes les pratiques analysées dans cet article montrent l’importance de mettre en place des mesures de sécurité adéquates pour garantir la sécurité des données et la confidentialité. Bien que les énormes quantités d’informations personnelles et transactionnelles puissent aider les institutions de sécurité sociale à libérer de la valeur, les violations de données peuvent porter un grave préjudice aux individus et éroder leur confiance envers les institutions de sécurité sociale (Wagner et Ferro, 2020). Les lignes directrices 36 à 46 des Lignes directrices de l’AISS en matière de TIC fournissent des recommandations détaillées sur la mise en place d’un cadre solide de protection des données et de confidentialité, qui s’appuie sur des technologies robustes.

Conclusion

En intégrant l’analyse des données aux processus opérationnels, les institutions de sécurité sociale peuvent obtenir des résultats opérationnels tangibles, tels que l’amélioration de la performance opérationnelle, le renforcement des services aux membres, la diminution des fraudes et des erreurs et un processus décisionnel fondé sur les données probantes. L’analyse des données peut permettre aux institutions de saisir de nouvelles opportunités en améliorant de manière significative les produits, processus et méthodes organisationnelles existants, ou en en développant de nouveaux. Par conséquent, les données deviendront un élément essentiel pour les institutions de sécurité sociale qui cherchent sans cesse à développer des stratégies d’innovation, dans le but de fournir des services de qualité rentables dans les prochaines décennies.

Alors que, au cours des précédentes décennies, les institutions ont testé les méthodes d’analyse traditionnelles, les institutions de sécurité sociale commencent à utiliser progressivement les technologies émergentes, telles que les données massives et l’IA. Même si l’application de ces technologies demeure récente, les expériences des institutions membres montrent qu’elles ont déjà pu obtenir des résultats probants dans des domaines clés de la sécurité sociale, tels que la gestion des erreurs, de l’évasion et des fraudes, ainsi que le développement d’approches proactives et de solutions automatisées pour améliorer les services sociaux. Plus la maturité en matière d’analyse des données évoluera, plus le recours à ces technologies émergentes s’accélérera, comme c’est le cas pour les progrès technologiques. Ainsi, les institutions doivent se tenir prêtes à mettre en place ces développements en créant des capacités adéquates en termes de gestion et de gouvernance des données, afin de pallier les risques susmentionnés et de garantir la transparence, l’équité et la responsabilité dans l’application des approches avancées axées sur les données.

Références

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