Analyse – Priorités pour la sécurité sociale

Réponses de la sécurité sociale à la pandémie de COVID-19 – Afrique

Analyse – Priorités pour la sécurité sociale

Réponses de la sécurité sociale à la pandémie de COVID-19 – Afrique

L’accès effectif à une protection sociale adéquate est au coeur du développement durable, de la cohésion sociale et de la résilience sociale et économique. C’est pourquoi au cours des décennies écoulées, les gouvernements africains ont réaffirmé leur volonté de renforcer la couverture et de l’étendre à une grande majorité de la population du continent. Les taux de couverture effective n’en demeurent pas moins globalement faibles et présentent des disparités au sein des pays et des différentes branches de la sécurité sociale en raison de la faible participation de la main d’oeuvre dans l’économie formelle (OIT, 2017).

Les pays se sont engagés à combler les lacunes de la couverture, mais la pandémie de COVID-19 et les répercussions sociales et économiques négatives des mesures d’urgence restrictives imposées par les autorités nationales pour endiguer la propagation du virus risquent d’anéantir les progrès accomplis sur la voie de l’instauration d’une protection universelle pour tous, prévue dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030.

La pandémie de COVID-19 a néanmoins été à l’origine d’évolutions dans les systèmes de sécurité sociale. La période récente a été marquée par une volonté politique sans précédent d’extension de la protection sociale en Afrique, avec l’adoption d’un éventail de politiques sociales et de programmes, ainsi que des mesures administratives et pratiques innovantes visant à optimiser la fourniture de prestations de sécurité sociale et à limiter les perturbations dans la fourniture des services.

Messages clés

  • La pandémie de COVID-19, de même que les retombées sociales et économiques négatives des restrictions imposées pour contenir la propagation du virus, ont été lourdes de conséquences pour les systèmes de sécurité sociale et pourraient remettre en cause les progrès accomplis sur la voie de l’instauration d’une protection sociale universelle pour tous conformément au Programme de développement durable à l’horizon 2030.
  • En Afrique, la pandémie de COVID-19 s’est traduite par un engagement politique sans précédent en faveur de la protection sociale, ce qui a conduit à l’introduction ou au renforcement de programmes d’aide sociale, à des modifications transitoires des régimes d’assurance sociale et à l’adoption de nouveaux modes de financement de la protection sociale.
  • Grâce à des améliorations continues, par exemple l’automatisation et la numérisation de l’administration de la sécurité sociale, les institutions africaines membres de l’AISS ont réussi à adapter et à ajuster les mesures existantes et à adopter des solutions nouvelles et évolutives pour garantir la continuité de l’activité dans le contexte du confinement et du télétravail.
  • La pandémie de COVID-19 et les restrictions imposées pour contenir la propagation du virus ont accéléré l’automatisation et la numérisation de l’administration de la sécurité sociale, ce qui accroît les risques d’erreur, d’évasion et de fraude dans les systèmes de sécurité sociale.
  • Dans un contexte d’incertitude généralisée, un engagement plus fort en faveur de la sécurité sociale est nécessaire pour instaurer durablement une protection sociale complète et universelle, permettant un accès effectif à des soins de santé et à des prestations et services de sécurité sociale abordables et susceptibles d’évoluer en fonction des besoins.

Besoin croissant de prestations et de services de protection sociale et de soins de santé

Avant la pandémie, les gouvernements africains avaient réaffirmé leur volonté de se mobiliser en faveur de la protection sociale universelle pour tous. En témoignent l’inclusion de la protection sociale dans les stratégies de développement régionales et nationales, l’augmentation de l’investissement dans les programmes de protection sociale non contributifs et l’extension des régimes de sécurité sociale à des publics qui en étaient généralement exclus, comme les travailleurs indépendants et informels. Parallèlement, les systèmes de sécurité sociale africains mettent en oeuvre des améliorations ambitieuses et des innovations pour renforcer les capacités administratives des institutions de sécurité sociale afin d’administrer et fournir les prestations et services avec cohérence et sans délai. L’adoption de solutions faisant appel à des solutions TIC avancées et l’établissement de partenariats stratégiques pour sensibiliser et toucher un public plus large sont au coeur de ce processus.

Dans ce contexte, la pandémie de COVID-19 a accru la demande de prestations et services et a mis à rude épreuve l’adéquation, les capacités et la stabilité des systèmes de protection sociale et de soins santé lorsqu’il s’est agi d’apporter des réponses à la pandémie et à ses retombées socioéconomique négatives.

À noter que pendant la première vague de la pandémie, le continent et les pays africains ont enregistré des taux de contamination plus faibles que les autres continents et que les économies plus avancées. Toutefois, du fait de l’énorme déficit de la région en matière d’accès effectif à la protection sociale, les pouvoirs publics ont eu plus de difficultés à faire face aux problèmes socioéconomiques engendrés par la pandémie. Il leur fallait en particulier répondre à un besoin accru et croissant de services et prestations de protection sociale et soins de santé au moment même où l’espace budgétaire disponible s’amenuisait sous l’effet du ralentissement économique mondial et de la hausse des pertes d’emplois.

La pandémie peut être vue comme une épreuve mais aussi comme une opportunité pour la sécurité sociale africaine. Elle a accentué les difficultés auxquelles les systèmes de protection sociale étaient déjà confrontés, mais a donné un nouveau souffle à la transformation de la sécurité sociale. En pratique, un engagement politique sans précédent en faveur de la sécurité sociale a abouti à l’introduction ou au développement de programmes d’aide sociale et à l’adoption de mesures d’urgence face aux dommages socioéconomiques causés par la pandémie. Sur le plan administratif, cette crise a créé une nouvelle dynamique dans l’administration de la sécurité sociale, qui s’est traduite par l’adoption ou l’adaptation de solutions en ligne et numériques pour minimiser les perturbations dans la fourniture de services de sécurité sociale cohérents.

Agir sur les programmes et les politiques pour optimiser les prestations et services

La protection sociale et l’emploi sont des domaines proches et interdépendants dans le cadre de l’action pour la justice sociale et le travail décent. À travers le travail décent, l’emploi permet d’accéder à un revenu et d’acquérir des droits à la sécurité sociale. Quant à la protection sociale, elle joue un rôle fondamental parce qu’elle garantit une sécurité financière de base aux personnes pauvres sans revenu d’activité et fournit un revenu de remplacement en cas de réalisation d’un risque.

Elle contribue aussi de façon décisive à édifier des sociétés plus résilientes, plus équitables et plus stables. La pandémie de COVID-19 a été lourde de conséquences sur l’emploi. Dans le même temps, elle a aussi montré que la protection sociale jouait un rôle précieux dans la vie d’une nation, favorisant la résilience de la population et la stabilité de la société. La pandémie a entraîné une augmentation des événements couverts par la sécurité sociale, notamment des risques de chômage, de maladie, d’accident du travail et de décès. Il en a résulté une hausse de la demande de prestations et services, et une nécessité de réagir à une crise sanitaire et socioéconomique sans précédent.

Face aux conséquences sociales et économiques immédiates de la crise, les pays ont adopté sans attendre des mesures parfois radicales pour améliorer et renforcer la fourniture de prestations et services de sécurité sociale. Ces mesures ont revêtu diverses formes: introduction de nouveaux programmes d’aide sociale ou extension de programmes existants; ajustements apportés aux régimes de sécurité sociale contributifs; adaptation des politiques du marché du travail; modification des programmes de travaux publics et adoption de nouveaux modes de financement.

Introduction de nouveaux programmes d’aide sociale et extension de programmes existants

Dans la quasi-totalité des pays d’Afrique, la plupart des régimes de sécurité sociale sont des programmes d’assurance sociale, généralement des régimes de retraite ou d’assurance accidents du travail. Certains pays sont néanmoins dotés de pensions sociales catégorielles.

La pandémie a conduit un grand nombre de travailleurs assurés à interrompre leur l’activité économique et à cesser d’accumuler des droits dans le cadre des régimes contributifs. Elle a également accru le besoin de prestations de chômage, d’accident du travail et de maladie en faveur des publics d’âge actif, dans un contexte marqué par un fort taux d’emploi informel. Paradoxalement, sur les 54 pays du continent africain, dix seulement sont dotés de régimes d’assurance chômage, couvrant au total 5,6 pour cent de la population au chômage dans la région (Afrique du Sud, Algérie, Cabo Verde, Égypte, Maroc, Maurice, Mozambique, Seychelles, République-Unie de Tanzanie (Tanzanie) et Tunisie). En outre, l’assurance maladie repose généralement sur le principe de responsabilité de l’employeur, alors que l’emploi informel et l’activité indépendante occupent une large place.

Les employeurs et l’emploi ayant payé un lourd tribut à la pandémie et l’assurance chômage étant peu développée, les pouvoirs publics n’ont pas pu s’appuyer sur des dispositifs existants pour fournir une protection sociale à la grande majorité de la population, que ce soit pendant la crise de la COVID-19 ou après. Bien souvent, leur réponse a consisté à introduire des programmes d’aide sociale ou à développer ceux qui existaient déjà. D’après les données recueillies par des organisations internationales telles que l’OIT, l’AISS et la Banque mondiale, les mesures de protection sociale adoptées face à la COVID-19 ont principalement consisté en mesures d’aide sociale, celles-ci ayant représenté 86 pour cent des mesures de protection sociale prises en Afrique (Gentilini et al., 2020).

La place importante de l’aide sociale dans la réponse à la crise confirme l’existence de lacunes de la couverture en Afrique. Elle montre qu’il est nécessaire d’élargir la couverture dans trois directions: en introduisant de nouveaux types de prestations, en incluant de nouvelles catégories de la population, et en améliorant l’adéquation des prestations – à travers des majorations ou des revalorisations régulières. Néanmoins, certains pays sont parvenus à traverser la première vague de la pandémie en mettant en oeuvre des réformes paramétriques transitoires des régimes de sécurité sociale contributifs.

Modifications transitoires des régimes contributifs

Face à la crise, il a fallu prendre une panoplie de mesures pour relever les défis en matière de santé publique et de soins de santé, protéger les populations et leurs moyens de subsistance et donner aux employeurs les moyens de préserver les emplois et de soutenir les économies.

Bien que les circonstances aient été les mêmes, des réalités différentes ont justifié le recours à des stratégies variées pour relever un défi commun à tous les pays. Chaque pays a adopté des mesures qui reflétaient ses choix politiques et les moyens disponibles pour financer et fournir une protection sociale et sanitaire à la population. Même si le recours à l’aide sociale a prédominé (représentant 86 pour cent des interventions), une proportion non négligeable des actions menées (8 pour cent) a consisté en mesures d’assurance sociale, c’est-à-dire en modifications transitoires apportées aux régimes existants.

Au Cabo Verde, par exemple, le gouvernement a suspendu pendant trois mois les cotisations au fonds de pension. En Côte d’Ivoire, l’État a pris en charge pendant trois mois les cotisations d’assurance maladie des bénéficiaires d’un soutien financier sous la forme de transferts monétaires. D’autres pays – Algérie, Cameroun, Madagascar, Mozambique, Ouganda et Seychelles – ont reporté le paiement des cotisations sociales de trois mois en moyenne et ont annulé les pénalités et amendes imposées en cas de retard de paiement des cotisations.

Le Maroc a permis aux travailleurs licenciés en raison de la pandémie de conserver leurs droits à l’assurance maladie et le Rwanda a supprimé le délai de carence auquel était subordonnée l’ouverture des droits à l’assurance maladie. Le Cameroun a revalorisé les allocations familiales de 60,7 pour cent pour trois mois et a accéléré la revalorisation de 20 pour cent des pensions en cours avant les réformes paramétriques de 2016.

L’Afrique du Sud, l’Algérie, l’Égypte, l’Éthiopie, le Maroc et le Mozambique ont accordé des prestations de maladie et/ou de chômage aux travailleurs touchés par la pandémie et ses conséquences. Toutefois, la durée de la crise fait peser une pression financière croissante sur les régimes de sécurité sociale, nécessitant des mesures sur le marché du travail afin de sécuriser les postes et de promouvoir l’emploi pour atténuer le besoin croissant de prestations et services de protection sociale.

Politiques du marché du travail et mesures fiscales

Outre les mesures d’aide sociale et d’assurance sociale adoptées face aux difficultés sociales et économiques engendrées par la pandémie, les pouvoirs publics ont eu l’obligation plus impérieuse encore de renforcer la résilience de l’économie et de protéger les emplois. La couverture sociale étant inadéquate dans la grande majorité des pays d’Afrique, les plans de relance économique et de protection de l’emploi n’ont été envisagés que dans le cadre des mesures à prendre après la pandémie. Or, les pays dotés de systèmes de santé et de protection sociale développés ont mieux résisté parce qu’ils ont cherché à limiter la propagation du virus au moyen de décisions de confinement et ont tenté de remédier à ses conséquences économiques à travers des mesures de protection sociale et des interventions sur le marché du travail.

À Maurice par exemple, le pays étant doté de systèmes de santé et de protection sociale développés, l’État a pu se concentrer sur le renforcement de la résilience de l’économie. Il a mis en oeuvre une série de mesures fiscales à travers deux dispositifs, le Wage Assistance Scheme et le Self-Employed Assistance Scheme, qui accordent un soutien financier aux salariés et aux travailleurs indépendants privés de leur travail en raison du confinement et des quarantaines. Ces deux dispositifs ont été créés par l’adoption au début de la crise des projets de lois sur la COVID-19 (dispositions diverses) et sur la quarantaine.

Dans la même veine, le Maroc a introduit de nouvelles prestations de chômage et a accordé des aides publiques aux entreprises en difficulté et des subventions salariales aux entreprises du secteur touristique. En Afrique du Sud, l’État a mobilisé des ressources financières pour verser une aide au revenu aux travailleurs lorsque leur employeur n’était pas en mesure de payer leur salaire, et a étendu pour quatre mois, du 1er avril au 31 juillet 2020, le dispositif d’incitation fiscale à l’emploi en permettant à tous les salariés ayant un salaire inférieur à 6 500 rands (ZAR) de percevoir une subvention de 500 ZAR.

Le Botswana, le Burundi, le Cabo Verde, Djibouti, l’Égypte et l’Éthiopie ont également introduit des subventions salariales et/ou des incitations fiscales à l’emploi dans le cadre des plans de relance économique et de protection de l’emploi adoptés face à la pandémie. Les plans de relance et les mesures budgétaires sont un moyen inestimable de protéger l’emploi et de renforcer la résilience de l’économie et de lui redonner du dynamisme. Toutefois, lorsqu’ils y ont recours, les pouvoirs publics risquent de se trouver confrontés à des difficultés budgétaires et de perdre la maîtrise de l’environnement macroéconomique. Il est donc indispensable de s’intéresser aux nouveaux modes de financement de la sécurité sociale envisageables et promouvoir la création d’emplois et la protection de l’emploi.

Nouveaux modes de financement

Traditionnellement, les prestations et services sociaux sont financés par l’État, les employeurs et les travailleurs et, dans une moindre mesure, par l’aide au développement et/ou l’aide des donateurs. Il ressort de l’Observatoire de la COVID-19 de l’AISS, de celui de la Banque mondiale (Gentlini et al., 2020), et de l’Observatoire de l’OIT sur la COVID-19 et le monde du travail que les pays s’en sont largement remis à des stratégies classiques pour financer les prestations et services de protection sociale fournis en réponse à la COVID-19. La pandémie a cependant aussi donné naissance à de nouveaux modes de financement de la protection sociale en Afrique.

Au Gabon par exemple, le gouvernement a annoncé la création d’un fonds pour venir en aide aux plus vulnérables pendant la crise économique et sanitaire déclenchée par la COVID-19. Le président de la République a abondé le fonds à raison de 2,1 milliards de francs CFA (XAF) (soit l’équivalent de 3,4 millions de dollars des États.Unis (USD)) pour financer pendant six mois les dépenses de santé des personnes et familles non affiliées à la Caisse nationale d’assurance maladie et de garantie sociale. Une partie du fonds, soit 250 milliards de XAF (410 millions d’USD), a été utilisée pour financer des mesures sociales et économiques exceptionnelles, par exemple des aides financières aux entreprises, la prise en charge partielle des salaires, le gel des loyers des plus modestes et la gratuité des transports publics.

En Côte d’Ivoire, le gouvernement a créé en avril 2020 un fonds de solidarité chargé de soutenir financièrement les ménages et les populations vulnérables touchées par les restrictions imposées pour endiguer la propagation du virus. Au Ghana, l’Institut de sécurité sociale et d’assurance nationale (Social Security and National Insurance Trust) a annoncé avoir prélevé 500 000 cedis ghanéens sur les réserves de la sécurité sociale pour contribuer au financement des mesures prises par le gouvernement face à la COVID-19.

D’autres pays ont recouru à des exonérations de droits d’utilisation ou de cotisations plutôt qu’aux subventions et/ou transferts monétaires traditionnels pour toucher les populations ciblées. Ces mesures ont contribué à réduire l’exposition au risque de pauvreté et de précarité et la nécessité d’augmenter les dépenses de prestations sociales et services de santé qui en était le corollaire. Elles ont également soutenu la consommation des ménages pendant la phase de ralentissement de l’économie.

Mesures administratives et opérationnelles adoptées pour limiter les perturbations

Compte tenu de la mise en oeuvre des programmes et mesures décrites plus haut, les institutions de sécurité sociale africaines, en particulier les membres de l’AISS, avaient un rôle central à jouer en ce sens qu’il leur revenait d’adopter les mesures administratives et opérationnelles nécessaires pour réduire les perturbations dans la fourniture de prestations et services pendant les périodes de confinement.

L’Afrique s’est appuyée sur la transition technologique pour moderniser l’administration de la sécurité sociale. Plus précisément, les institutions membres de l’AISS exploitent les technologies pour répondre aux attentes croissantes du public, et améliorer l’efficacité et l’efficience de l’administration de la sécurité sociale.

La pandémie et les restrictions imposées pour endiguer la propagation du virus auraient pu perturber la fourniture des services sociaux. Toutefois, cette difficulté s’est muée en une opportunité d’accélérer la modernisation et la numérisation de l’administration de la sécurité sociale à travers l’automatisation des processus et les services électroniques (e-services), de manière à assurer la continuité de l’activité et à recourir au paiement et à l’identification numériques parallèlement au travail virtuel et à distance.

Automatisation et e-services

Les institutions membres de l’AISS avaient commencé à automatiser leurs principaux processus opérationnels et à mettre en place des e-services avant la pandémie de COVID-19, mais les restrictions imposées pour contenir la propagation du virus ont accéléré le recours aux solutions numériques dans l’administration de la sécurité sociale dans l’ensemble de la région. La pandémie, comme il a été dit, a agi comme un catalyseur, matérialisant les risques mais favorisant dans le même temps l’introduction de nouveaux programmes d’aide sociale ou l’extension des dispositifs existants. Il en a naturellement résulté un alourdissement de la charge de travail puisqu’il a fallu identifier et immatriculer de nouveaux bénéficiaires, recevoir les demandes d’indemnisation, instruire les dossiers et fournir les services et prestations à distance sur fond de restrictions – confinement, distanciation sociale et quarantaine – imposées pour contenir la propagation du virus.

Au Kenya par exemple, le Fonds de retraite des administrations locales (Local Authorities Pension Trust) s’est appuyé sur des e-services avancés pour basculer d’une administration physique vers une administration virtuelle et le télétravail. Les solutions de gestion électronique de documents et de gestion personnalisée des pensions, l’application mobile CPF Member, la biométrie, l’agent conversationnel du CPF, l’application Whatsapp pour les entreprises et le centre d’appel mobile ont permis de garantir sans discontinuer la fourniture de services publics inclus dans le programme pendant toute la durée de la première vague et des confinements.

Au Maroc, la pandémie a accéléré la mise en oeuvre de la stratégie de numérisation de la Caisse marocaine des retraites (CMR). Prévue pour 2023, cette stratégie articulée autour de quatre grands objectifs – automatisation avancée de processus opérationnels, transition vers l’intelligence artificielle, dématérialisation des opérations et communication phygitale avec les clients – a connu une accélération, l’automatisation et la dématérialisation des principaux processus métiers ayant été mises en oeuvre plus tôt que prévu en raison de la pandémie. Des évolutions similaires ont été observées dans des pays comme l’Afrique du Sud, l’Algérie, la Côte d’Ivoire, Madagascar, la Mauritanie et la Tunisie, où les institutions de sécurité sociale ont accéléré leur transition numérique en réaction aux exigences imposées par la pandémie.

Néanmoins, le plus souvent, l’automatisation et la numérisation n’ont pas abouti à la transition vers le travail virtuel qui s’impose dans la «nouvelle normalité».

Solutions numériques d’identification et de paiement

Au-delà de la recherche de modernité induite par les transitions technologiques, la pandémie et la distanciation sociale, le télétravail et les périodes de confinement qu’elle a imposés nécessitent de recourir à des solutions numériques pour mettre en place un environnement de travail virtuel dans les institutions de sécurité sociale. Par ailleurs, des solutions numériques d’identification faisant appel, par exemple, à la reconnaissance biométrique sont de plus en plus utilisées dans la gestion de prestations dont le paiement est subordonné à certaines conditions comme la production d’une preuve de vie.

Ainsi, la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) du Cameroun et la Caisse nationale de sécurité sociale de la Guinée ont recours à la reconnaissance biométrique pour établir l’identité des bénéficiaires et s’assurer qu’ils sont en vie. Toutefois, l’obligation de distanciation sociale et de télétravail imposée par la COVID-19 va nécessiter le passage de la reconnaissance biométrique à des solutions numériques plus avancées, comme la reconnaissance faciale.

La Caisse interprofessionnelle marocaine de retraites utilise la reconnaissance faciale pour établir à distance l’identité des pensionnés et vérifier qu’ils sont en vie, ce qui permet de réduire les risques de contamination inhérents à l’utilisation de certains appareils biométriques par de multiples personnes.

Les applications en ligne et mobiles utilisées par la Caisse nationale de sécurité sociale des non-salariés, en Algérie, et le paiement en ligne des cotisations, la délivrance en ligne de certificats et de reçus électroniques introduits par la CNPS du Cameroun sont d’autres exemples de bonnes pratiques qui vont conserver toute leur pertinence dans le contexte de l’après COVID-19. Des évolutions similaires, par exemple les plateformes e-Cotisations et e-CM de l’Institution de prévoyance sociale – Caisse nationale de prévoyance sociale de la Côte d’Ivoire présenteront également un intérêt après la pandémie.

Le service électronique de pensions du Fonds de pensions des Seychelles (Seychelles Pension Fund) et la généralisation de l’utilisation de systèmes de paiement mobile et de services bancaires électroniques pour recouvrer les cotisations et verser les prestations auront également une importance à long terme dans l’administration des régimes de sécurité sociale.

Malgré les innovations mises en oeuvre face aux contraintes imposées par la pandémie de COVID-19, les institutions de sécurité sociale vont très probablement avoir de nouveaux défis à affronter, à commencer par la fracture numérique et les risques d’erreur, d’évasion et de fraude inhérents à l’accélération de la numérisation des procédures de sécurité sociale. Leur capacité à remédier à ces risques sera donc déterminante pour l’avenir de l’administration de la sécurité sociale.

Conclusion

En Afrique, la pandémie de COVID-19 place la protection sociale à la croisée des chemins. D’un côté, elle a entraîné une hausse de la demande de prestations et services sociaux alors que l’espace budgétaire disponible pour financer la protection sociale s’amenuisait sous l’effet du ralentissement économique. De l’autre, elle s’est traduite par un engagement politique sans précédent en faveur de la protection sociale, engagement qui a abouti à l’introduction de nouveaux programmes d’aide sociale ou au renforcement de programmes existants, à l’introduction d’ajustements transitoires dans les régimes contributifs et à l’adoption de nouveaux modes de financement de la protection sociale sur le continent.

Sur le plan administratif, les mesures imposées pour contenir la propagation du virus, dont le confinement, la distanciation sociale et le télétravail, ont accéléré l’adoption et l’adaptation de solutions numériques et en ligne avancées et l’ajustement des modalités de travail pour garantir la continuité de l’activité pendant les périodes de confinement. Toutefois, ces évolutions s’accompagnent d’un risque accru d’erreur, d’évasion et de fraude auquel les institutions de sécurité sociale vont devoir s’attaquer.

En dépit de l’incertitude qui entoure l’évolution de la pandémie et ses retombées socioéconomiques négatives, l’importance du rôle stabilisateur qu’ont à jouer les systèmes de sécurité sociale ne doit pas être sous-estimé. La mise en place de systèmes de protection sociale et de santé adéquats, durables, capables de s’adapter et offrant un meilleur accès aux prestations et services passe par la promotion du travail décent et la lutte contre l’exclusion de la couverture sociale, le renforcement de l’efficacité de l’assurance volontaire et du recouvrement des cotisations.

Bibliography

Gentilini, U. et al. 2020. Social protection and jobs responses to COVID-19: A real-time review of country measures. Washington, DC, Banque mondiale.

OIT. 2017. Global Programme: Employment Injury Insurance Protection (GPEIP): Contributing to decent work and the social protection floor guarantee in the workplace. Genève, Bureau international du Travail.