Doter la sécurité sociale de ressources humaines pour l’ère du numérique: expériences européennes

Doter la sécurité sociale de ressources humaines pour l’ère du numérique: expériences européennes

Les institutions de sécurité sociale déployaient déjà progressivement des stratégies numériques ces dernières décennies, mais la crise de la COVID-19 a accéléré cette transformation. La résilience et l’évolutivité des systèmes numériques, qui ont permis de répondre à des besoins sans précédent malgré les contraintes opérationnelles, ont considérablement changé la donne pour les organisations engagées sur la voie du «numérique par défaut». Cet article a été rédigé à partir des expériences menées par les institutions de sécurité sociale européennes.

Le «numérique par défaut» est une démarche qui consiste à proposer des «services numériques tellement simples et pratiques que toutes les personnes en mesure de les utiliser choisissent de le faire, sans pour autant que celles qui ne le peuvent pas soient exclues» (GOV.UK, 2012). Cette transition numérique rapide de la sécurité sociale s’appuie sur deux leviers: les technologies et les ressources humaines (RH) (Ortiz, 2022a). Elle procède en effet autant d’un changement humain que d’un changement technologique. Les technologies offrent aux institutions de nouvelles possibilités sur le plan de la conception des services, des opérations et des processus, mais elles ne peuvent le faire qu’avec des ressources humaines. La réussite du projet ambitieux qu’est la transition numérique suppose une bonne gestion du capital humain de l’institution – en matière de recrutement, de rémunération, de rétention, de formation, d’accompagnement et de développement. Comme souligné à juste titre dans les Lignes directrices de l’AISS en matière de bonne gouvernance, «[l]es ressources humaines – ainsi que le talent, l’expérience et les compétences dont elles sont dotées – s’avèrent indispensables aux performances, à la capacité d’adaptation et au dynamisme de toute institution».

La transition numérique influe sur les ressources humaines et sur la fonction de gestion des ressources humaines (GRH) de deux manières:

  • Influence sur la fonction GRH: Bien que les principales composantes de la GRH (graphique 1) soient pour l’essentiel les mêmes dans l’univers numérique que dans le monde physique, les technologies ont le potentiel d’en améliorer grandement l’exécution. L’exploitation des technologies pour réformer la GRH est en passe de devenir un facteur clé du recrutement, de la formation, de la rétention, de même que de la satisfaction et de la productivité des salariés.
  • Influence sur les qualifications, compétences et capacités du personnel: Les technologies ne remplacent pas les capacités humaines; elles ont plutôt pour effet de modifier et de diversifier les compétences requises (Gujral, 2016). À titre d’illustration, l’automatisation de tâches courantes libère des agents qui peuvent ainsi se consacrer à des dossiers plus complexes, dont le traitement exige davantage de compétences interpersonnelles. Autre exemple: la création de guichets numériques en libre-service requiert des compétences en matière de recherche utilisateur et de conception des produits. De même, il n’est pas possible de répondre aux besoins accrus en matière d’analyse fondée sur les données sans spécialistes compétents de la science des données. Or, ces compétences font actuellement défaut. Ainsi, lors d’une enquête menée dans sept pays européens, 63 des 250 organismes interrogés ont déclaré que la pénurie de compétences et d’expérience constituait un frein au passage à l’informatique en nuage (IDC, 2021). L’acquisition de ces compétences nouvelles prendra du temps et exigera agilité et adaptabilité de la part du personnel existant. La fonction GRH doit être capable d’anticiper l’évolution des besoins en compétences et faire preuve de capacités de planification tout en permettant au personnel en place de monter en compétences à chaque fois que cette solution est la meilleure.

Graphique 1. Composantes de la GRH

Graphique 1. Composantes de la GRH

Source: Armstrong et Taylor (2020).

Transformation des ressources humaines: expériences européennes

Les ressources humaines et technologiques de l’institution étant les deux faces d’une même médaille, l’Association internationale de la sécurité sociale (AISS) a réuni ses membres et a élaboré des ressources pour les accompagner dans la transition vers l’alliance de l’humain et du numérique. Les lignes directrices consacrées à la gestion des ressources humaines contenues dans les Lignes directrices de l’AISS en matière de bonne gouvernance décrivent des stratégies envisageables dans le domaine du recrutement, de la rétention et du développement du personnel. En outre, la nouvelle série de Lignes directrices de l’AISS en matière de gestion des ressources humaines dans l’administration de la sécurité sociale (AISS, 2022) insiste sur la nécessité d’articuler de manière cohérente ressources humaines et ressources technologiques et contient des recommandations plus complètes. La complémentarité entre les technologies et les ressources humaines, en particulier dans les pays relativement avancés d’Europe, a également été au centre de débats lors de divers webinaires et tables rondes et a fait l’objet de plusieurs publications. Le présent article a vocation à stimuler la réflexion sur cette thématique en Europe en présentant une synthèse des initiatives prises par certaines institutions membres en ce qui concerne quelques-unes des composantes de la GRH (graphique 1), à savoir: i) la transformation de la GRH en général, ii) la formation et le développement et iii) le bien-être du personnel pendant le processus de changement.

Repenser la fonction GRH

Institution d’assurance sociale, Pologne

En Pologne, l’Institution d’assurance sociale (Zaklad Ubezpieczen Spolecznych – ZUS) a transformé sa fonction GRH en restructurant son ancien Département en charge des employés pour en faire un Département de gestion des ressources humaines. L’objectif était de garantir une cohérence entre les pratiques de GRH et la stratégie ambitieuse de l’institution (ZUS, 2019). Dans le cadre de cette restructuration, des partenaires RH spécialisés ont été nommés aux niveaux national et régional, une division chargée du contrôle et de la politique de rémunération a été créée et chargée de gérer la masse salariale, d’évaluer les postes et de définir le niveau optimal des effectifs de la ZUS. Une «proposition de valeur pour les employés» (Employee Value Proposition – EVP) a été créée sur la base d’entretiens, d’enquêtes et d’ateliers pour permettre à la ZUS d’attirer des talents. Des normes de recrutement ont été établies pour l’ensemble des unités de la ZUS afin d’accroître la transparence et l’efficacité des activités liées à l’embauche de personnel. Une application de gestion du temps et des congés a été adoptée. Le processus de transformation a mis l’accent sur l’inclusion, l’éthique et la sécurité. La ZUS a mis en œuvre une stratégie systématique pour intégrer des personnes handicapées au sein de son personnel et a mis sur pied une commission pour le traitement des problèmes de harcèlement et de discrimination.

Formation et développement

Institution d’assurance sociale, Pologne

Une autre composante importante de la transformation de la ZUS mérite d’être soulignée: la création d’un nouveau système unifié de formation et d’évaluation (ZUS, 2020), conçu pour améliorer et reconnaître les compétences des 40 000 agents de l’institution. La ZUS a commencé par élaborer un modèle de compétences sur la base d’une analyse détaillée des différents postes existants. Jusqu’alors, en l’absence de ce modèle, la formation et le développement du personnel, de même que la gestion des performances reposaient sur le principe du cas par cas et étaient incomplets. Le nouveau modèle définit 17 compétences réparties dans trois domaines – compétences générales, managériales et spécialisées – et décrit les comportements attendus pour chacune d’elles. Une solution d’apprentissage en ligne – conçue en fonction du modèle de compétences – a également été mise au point. La plateforme d’apprentissage en ligne sous licence libre a permis de créer un environnement d’apprentissage à distance fluide, en complément des formations en présentiel organisées avant la pandémie. Par ailleurs, un système d’évaluation annuelle a été introduit pour estimer régulièrement certaines compétences du personnel. Il comprend des autoévaluations des salariés, une évaluation des salariés par leur supérieur hiérarchique et des entretiens de bilan.

Caisse publique d’assurance sociale de la République de Lituanie auprès du ministère de la Sécurité sociale et du Travail, Lituanie

La Caisse publique d’assurance sociale de la République de Lituanie auprès du ministère de la Sécurité sociale et du Travail (Sodra) était confrontée à des problèmes de qualité des logiciels en raison du manque de compétences numériques de son personnel. En l’absence de ces compétences, l’adoption de solutions logicielles s’était révélée contre-productive: beaucoup de tâches étaient effectuées manuellement, le taux d’erreurs était élevé et les différents acteurs concernés étaient mécontents. Au lieu de recruter des professionnels de l’informatique puis de les former à ses activités métier, la Sodra a préféré doter ses agents, qui étaient des professionnels de la sécurité sociale, des compétences informatiques nécessaires (Sodra, 2020). Plusieurs raisons ont motivé ce choix: i) les compétences informatiques à acquérir n’étaient pas sophistiquées (ex.: langage de requête structurée, initiation aux formulaires et rapports Oracle, initiation à Java) et ii) il était plus important que le personnel ait une bonne maîtrise des processus métier et de la manière dont les utilisateurs travaillaient avec le système d’information. Ces professionnels, qui ont reçu le nom de «superutilisateurs», partageaient leur temps entre des fonctions métier courantes et le développement de systèmes d’information. L’initiative a permis de former 40 superutilisateurs, soit dix par domaine d’activité important de la Sodra – gestion de l’immatriculation, recouvrement des cotisations, paiement des pensions et paiement des autres prestations.

Les superutilisateurs ont accru la rentabilité des investissements réalisés par la Sodra dans les technologies de l’information, et ce de plusieurs manières. Premièrement, ils ont examiné les nouveaux logiciels pour évaluer leur pertinence, leur facilité d’utilisation et les fonctionnalités existantes. Deuxièmement, ils se sont appuyés sur leur bonne connaissance des activités liées à l’assurance sociale pour tester correctement les logiciels, en tenant compte de scénarios extrêmes que les professionnels de l’informatique auraient été moins susceptibles de repérer. Enfin, ils ont accompagné leurs collègues travaillant dans les agences locales pour les aider à utiliser le logiciel, ce qui a aussi permis de réduire le temps consacré par le personnel informatique à répondre à des questions courantes et a garanti une application homogène dans tous les services.

Office national de l’emploi, Belgique

En Belgique, l’Office national de l’emploi (ONEM) a accéléré la transformation numérique des processus de recrutement et de formation afin de se doter des capacités humaines supplémentaires nécessaires pour fournir davantage de services malgré les contraintes imposées par la pandémie. L’ONEM a élaboré une stratégie de recrutement et de formation à distance entièrement numérisée pour recruter et former un grand nombre de nouveaux agents dans un laps de temps limité afin que l’institution puisse servir des prestations à plus de 1,7 million d’assurés touchés par la crise (ONEM, 2020). Il a rapidement étudié et mis sur pied une procédure de recrutement à distance, a formé 20 agents et conduit 1 117 entretiens à distance. Il a revu son programme de formation pour donner la priorité aux services les plus importants et a créé une formation de formateurs axée sur les méthodes pédagogiques interactives indispensables pour animer une formation en ligne. Quelque 96 formateurs en ont bénéficié. Grâce au budget supplémentaire alloué par l’État, l’ONEM a mobilisé cette stratégie pour recruter et former 317 nouveaux agents. Au total, 1 840 jours ouvrés de formation en ligne «accueil et initiation» et 3 246 jours ouvrés de formation aux processus métier de base et compétences techniques en lien avec les prestations de chômage ont été suivis.

Bien-être des salariés pendant le changement

Office national de l’emploi, Belgique

Quelque 92 pour cent des agents déjà en poste ayant dû télétravailler à plein temps pendant la pandémie, l’ONEM a eu à relever de nouveaux défis pour assurer leur bien-être. Outre les initiatives prises pour disposer d’un personnel suffisant, en mars 2020, l’ONEM a lancé plusieurs projets pour aider ses employés à s’acclimater au nouveau monde du télétravail (ONEM, 2020). Un centre de contact chargé de répondre à toutes les questions organisationnelles liées au coronavirus a été créé, de même qu’une liste de questions fréquemment posées regroupant toutes les informations en lien avec le coronavirus. Des activités à distance ont été organisées pour souder les équipes, et le personnel a reçu un soutien pour installer à son domicile l’équipement nécessaire au télétravail. Enfin, des évaluations des risques psychosociaux ont été réalisées dans tous les services et agences de l’ONEM entre octobre 2020 et octobre 2021.

Caisse nationale des allocations familiales, France

En France, la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), qui gère le réseau des 101 caisses d’allocations familiales (CAF), a introduit une série de mesures pour aider les agents à surmonter les effets de la pandémie (CNAF, 2020). Ces mesures comprenaient une écoute, un accompagnement sous forme de webinaires ou d’articles conviviaux et des sondages pour évaluer régulièrement l’état psychologique des salariés. Pour mettre au point ces stratégies, elle s’est inspirée des Lignes directrices de l’AISS en matière de promotion de la santé sur le lieu de travail et des Lignes directrices de l’AISS en matière de prévention des risques professionnels.

Dès les premiers jours de la crise, la CNAF a diffusé un guide des bonnes pratiques en situation de télétravail et a organisé des visioconférences destinées aux chefs de service pour les aider à accompagner au mieux leurs équipes en télétravail. À partir d’avril 2020, consciente des effets négatifs que peut avoir le télétravail à plein temps, elle a sensiblement renforcé ses dispositifs institutionnels, créant une cellule d’accompagnement permanente sur la qualité de vie en télétravail. Cette cellule proposait à chaque salarié un créneau horaire pendant lequel il lui était possible de parler de son ressenti, de ses difficultés éventuelles et de solutions susceptibles de l’aider à faire face à la situation. La cellule a établi sa stratégie en s’appuyant sur une enquête conduite auprès du personnel, invité à répondre à 37 questions sur la qualité de vie. Les réponses à cette enquête ont permis d’obtenir des informations utiles pour concevoir les nouveaux modes de travail. Elle a également porté une attention particulière aux salariés nouvellement embauchés, qu’elle a aidés à surmonter les difficultés liées à leur arrivée dans des conditions inhabituelles, leur intégration ayant dû se faire à distance. À titre d’exemple, en juin 2021, 80 nouveaux embauchés ont eu durant deux semaines un rendez-vous interactif d’une heure chaque matin avec un directeur du Comité exécutif de la CNAF, ce qui a contribué à renforcer le sentiment d’appartenance à l’institution.

Assurance pension allemande – Agence fédérale

L’Assurance pension allemande – Agence fédérale (Deutsche Rentenversicherung Bund – DRV Bund) s’est efforcée de gérer en amont les effets du changement lié à la numérisation des dossiers (DRV Bund, 2020). Elle a créé un système dénommé «Pulse Checks», ou «prise de pouls», pour repérer les craintes et inquiétudes ressenties par les agents lors de la dématérialisation du flux documentaire. 

La DRV s’est appuyée sur les Lignes directrices de l’AISS en matière de technologies de l’information et de la communication pour concevoir ce projet, qui consistait principalement en enquêtes quantitatives autoadministrées et en ateliers d’une durée d’une heure. Les résultats étaient analysés rapidement et, au besoin, des mesures d’accompagnement étaient proposées. Les comptes rendus étaient ensuite diffusés dans l’ensemble de l’administration pour renforcer la confiance dans le processus et sa transparence. Parce qu’elle a donné la parole aux salariés et leur a permis de se sentir valorisés, cette initiative a contribué à la réussite de la transition numérique.

Résultats

Le tableau 1 recense les résultats obtenus par ces institutions grâce à leurs innovations dans le domaine de la GRH.

Institution Résultats obtenus
ZUS – Pologne
  • Amélioration de la gestion des ressources humaines
  • Existence d’informations complètes sur le potentiel des ressources humaines
  • Égalité d’accès à la formation grâce aux contenus virtuels à la demande
  • Diminution des frais et du temps de trajet liés à la formation
  • Augmentation de 18 pour cent de la proportion de personnes handicapées employées par la ZUS
SODRA – Lituanie
  • Utilisation optimisée de logiciels existants
  • Diminution du nombre de logiciels faisant double emploi, d’où une économie de temps et d’argent
  • Réduction de moitié du nombre de dossiers en souffrance
ONEM – Belgique
  • 95 pour cent des nouveaux embauchés ont déclaré que leur poste correspondait à l’offre d’emploi
  • 95 pour cent des nouveaux embauchés ont déclaré avoir le sentiment que leur poste correspondait à leurs attentes
  • Le taux de rétention des nouveaux embauchés est passé de 84 pour cent en 2019 à 91 pour cent en 2020
  • Le taux de satisfaction à l’égard de la formation a augmenté, passant de 84 pour cent en 2019 à 97 pour cent en 2020
  • Le taux de traitement des dossiers des chômeurs a augmenté de 68 pour cent entre 2019 et 2020
  • Le taux de traitement des questions posées au centre d’appels a augmenté de 38 pour cent entre 2019 et 2020
CNAF – France
  • 84 pour cent des agents sondés ont déclaré ne pas avoir souffert d’isolement
  • 89 pour cent des agents sondés ont jugé la communication de l’institution suffisante
DRV Bund Allemagne
  • La satisfaction des salariés à l’égard de la transition numérique a progressivement augmenté

Principaux facteurs de réussite

Donner la parole aux salariés est indispensable à la réussite des projets de transformation des RH. Le personnel est plus enclin à accepter l’évolution de la manière dont il est géré si sa participation au processus est valorisée. Ainsi, en Lituanie, la Sodra a sollicité la contribution d’un large éventail de salariés au sujet du programme des superutilisateurs, insistant sur les avantages du projet, le processus de décision, les résultats attendus et le calendrier. En France et en Allemagne, la CNAF et la DRV Bund ont l’une et l’autre instauré des mécanismes bilatéraux pour garantir que les salariés étaient en phase avec les évolutions de la GRH.

Tout changement dans la GRH a inévitablement une incidence sur la dynamique des ressources humaines existante et exige donc de l’habileté. En Lituanie par exemple, le fait que les superutilisateurs aient soudain vu s’ouvrir de meilleures perspectives de carrière aurait pu être mal ressenti par les autres agents. Au départ, les divisions métier dont dépendaient les superutilisateurs et les divisions informatiques ont dû mieux se coordonner pour la planification des flux de travail, ce qui aurait pu être source de frictions au niveau de la coopération pluridisciplinaire. Il est primordial de bien comprendre ces dynamiques mouvantes et de réagir en conséquence. De même, en Allemagne, le contenu du projet Pulse Checks et la méthode utilisée pour le déployer ont nécessité une planification rigoureuse parce qu’il fallait éviter que certains retours d’information négatifs ne mettent en péril l’ensemble de l’initiative.

Les expériences couronnées de succès ont été précédées de phases pilotes qui ont permis aux institutions d’anticiper d’éventuels risques et de s’y préparer. En Pologne par exemple, la ZUS ne pouvait pas partir de l’hypothèse que la formation en ligne fonctionnerait de manière suffisamment fluide pour répondre aux besoins de ses 40 000 salariés. Pour garantir le bon fonctionnement de sa plateforme d’apprentissage sous licence libre, elle a d’abord lancé une phase pilote. Cette étape devait aussi permettre de configurer la plateforme, c’est-à-dire de préparer le système d’authentification, de paramétrer le système de cours, de mettre en place un système de comptes, d’attribuer des droits, de concevoir une interface graphique, d’insérer une terminologie spécialisée, de préparer l’archivage automatique et la communication des résultats, etc. De même, en Allemagne, la DRV Bund a réalisé des prétests du contenu de l’initiative Pulse Checks avant de la déployer.

Il est important de garder à l’esprit que, comme tout changement, les réformes qui touchent la GRH doivent être introduites progressivement. En Belgique, l’ONEM a pu réformer le recrutement et la formation uniquement parce que le télétravail faisait déjà partie de la culture institutionnelle depuis 2014 – ce qui signifie aussi que l’infrastructure nécessaire existait déjà. De plus, une équipe professionnelle composée de spécialistes de la pédagogie et des compétences était en place depuis 1982 et a pu apporter l’éclairage indispensable pour concevoir et gérer le changement. De même, en France, la CNAF avait expérimenté le télétravail à petite échelle en 2014, si bien que le changement était déjà en germe quand la COVID-19 est survenue. La transition a donc été moins radicale et, par conséquent, plus facile à mettre en œuvre.

Conclusions

En 2021, 88 pour cent des dirigeants d’organismes publics déclaraient que les activités métier et les stratégies technologiques de leur organisation devenaient indissociables (Accenture, 2021). Cette synergie existe aussi entre les technologies et les ressources humaines, ce qui signifie que les progrès technologiques, quels qu’ils soient, ne peuvent pas se concrétiser pleinement si des réformes des ressources humaines ne sont pas engagées en parallèle. Comme l’ont fait observer les dirigeants des institutions membres de l’AISS à l’occasion d’une Table ronde des dirigeants, dans le cadre de cette transition qui allie l’humain et le numérique, l’un ne peut pas aller sans l’autre. Dans le même temps, plusieurs tendances socio-économiques plus générales redéfinissent la gestion des ressources humaines (Ortiz, 2022a). La demande accrue de modalités de travail flexibles, l’augmentation du nombre de travailleurs atypiques, l’évolution des attentes, les risques de plus en plus grands qui menacent le respect de la vie privée, entre autres, sont autant de facteurs qui rendent le statu quo inenvisageable. Par ailleurs, en particulier dans les pays de l’OCDE, étant donné l’impact du vieillissement de la population sur l’emploi dans la fonction publique, une planification stratégique des ressources humaines et une adaptation aux attentes changeantes du personnel sont indispensables pour garantir le remplacement de celui-ci (McKinnon, 2010). Certaines institutions membres ont déjà fait preuve d’innovation à cet égard, quand d’autres sont encore aux prises avec ce défi. À titre d’exemple, l’Union des caisses nationales de sécurité sociale (UNCASS) a fait évoluer sa marque employeur et multiplié les canaux de recrutement pour attirer une nouvelle génération de salariés (UNCASS, 2022).

À l’heure où le changement technologique et social est incessant, les institutions de sécurité sociale ne peuvent faire l’économie d’une transformation de la fonction GRH si elles veulent offrir des services de sécurité sociale de qualité. L’évolution du travail et la transformation de l’environnement et des modes de travail obligent à repenser la GRH pour garantir que les salariés – et l’institution – continuent de s’épanouir et de progresser dans un contexte en mutation. Il faut à cette fin s’appuyer sur les technologies numériques pour revoir la manière dont les diverses fonctions qui composent la GRH sont exécutées. Ainsi, les institutions membres explorent les processus de recrutement faisant appel à l’intelligence artificielle (UNCASS, 2022). Parallèlement, les institutions de sécurité sociale doivent opter pour une planification stratégique de leurs besoins RH, c’est-à-dire repérer les domaines où la réponse passe par la montée en compétences du personnel et ceux dans lesquels il faut se tourner vers le recrutement de nouveaux talents ou le recours à des partenaires extérieurs. En fin de compte, «la maturité numérique d’une institution ne repose pas uniquement sur le degré de sophistication de ses technologies, mais aussi sur un personnel capable d’appliquer les technologies afin d’améliorer les compétences humaines et de renforcer les capacités institutionnelles» (Ortiz, 2022b).

Bibliographie

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Armstrong, M.; Taylor, S. 2020. Armstrong's handbook of human resource management practice. Londres, Kogan Page.

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DRV Bund. 2020. Keep a finger on the pulse! An interactive feedback tool to guide a successful transition to digitalized work environment. Genève, Association internationale de la sécurité sociale.

Gujral, G. 2016. «Reshaping the social security agency around improved human capital and technology», dans International Social Security Review, vol. 69, no 3-4.

McKinnon, R. 2010. «Vieillissement de la population active et gestion stratégique des ressources humaines: problèmes de dotation des administrations de sécurité sociale», dans Revue internationale de sécurité sociale, vol. 63, no 3-4.

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Ortiz, M. D. 2022b. Innovating HRM in an evolving environment. Managing human resources in an ever-evolving context – A European perspective (Webinaire de l’AISS, 9 juin). Genève, Association internationale de la sécurité sociale.

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